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Jean Genet : Une bénédiction pour lui, une malédiction pour d'autres

"Personellement, je dois beaucoup à l'homosexualité. S'il vous plaît d'y voir une malédiction, libre à vous. Pour ma part, ce fut et c'est toujours une bénédiction."



Jean Genet est né à Paris le 19 décembre 1910. C'est un écrivain, poète et dramaturge français. Fils d'un père inconnu et abandonné à l'âge de sept mois par sa mère, il est recueilli dans une famille nourricière mandatée par l'Assistance publique pour héberger et élever les enfants orphelins. Durant son enfance, Genet est bon élève, enfant de chœur mais reste cependant réservé et peu bavard. De cette époque remontent les premiers émois masculins de Genet, en la personne du petit Lou Culafroy — qui deviendra plus tard « Divine », héros et ensuite héroïne de Notre-Dame-des-Fleurs — ainsi que d’hommes plus âgés, braconniers de passage ou marginaux égarés. Jusqu'à atteindre la majorité, Genet était un enfant fuguant et volant à plusieurs reprises. Il réussit à se prendre en main lorsqu'il écrit son premier poème, à l'époque où il a été incarcéré.


La sexualité libre des personnages de Jean Genet a fait de ses romans des textes clés. Genet a pourtant écrit ces romans pendant les années 1940 et ils ont été publiés en anglais pendant les années 1960. Si l’on connaît la réception contemporaine des œuvres de Genet comme textes poussant à faire réfléchir sur la question de l'homosexualité, on connaît moins bien leur première réception comme textes avec des thèmes et personnages homosexuels parmi ses lecteurs en Amérique anglophone. Le mouvement homophile en était à ses débuts pendant les années 1950 et 1960 aux États-Unis, et on cherchait des exemples d’homosexualité dans l’histoire et dans la littérature. La lecture de Genet a donc dû beaucoup compter à cette époque pour les premiers hommes et femmes à déclarer ouvertement que leur sexualité ne se conformait pas aux normes. Le journal homophile dans lequel les romans de Genet ont reçu la plus grande attention est One : The Homosexual Viewpoint. La lecture des comptes rendus de ses romans dans One aussi bien que des entretiens et comptes rendus dans la presse à plus grande diffusion nous permettra de comprendre l’importance de Genet comme auteur de l’homosexualité pendant la période où l’idée d’une identité homosexuelle était en train de se former. Genet meurt d'un cancer le 15 avril 1986 à Paris, à l'âge de 76 ans.



En 1976, Jean Genet accordait un long entretien à Hubert Fichte qui fut publié par le Magazine Littéraire en juin 1981 n°174.


Avez-vous délibérément choisi de devenir homosexuel, traître, voleur et lâche, au même titre que vous avez choisi d'en faire le thème de votre promotion personnelle ? Je n'ai pas choisi in abstracto. Il n'y a pas eu de décision comme ça. Si je me suis mis à voler, c'est simplement parce que j'avais faim. Ensuite, j'ai dû justifier cet acte, l'accepter. Quant à mon homosexualité, je suis incapable de vous dire pourquoi je suis homosexuel. Je n'en sais rien. Qui sait pourquoi il est homosexuel ? Qui sait comment un homme choisit telle ou telle position pour faire l'amour ? L'homosexualité m'a été pour ainsi dire imposée, au même titre que la couleur de mes yeux et le nombre de mes pieds. Enfant, j'étais conscient de l'attirance qu'exerçaient sur moi les garçons. Ce n'est qu'après avoir fait l'expérience de cette attirance que j'ai « décidé », choisi librement mon homosexualité au sens sartrien du verbe choisir. Pour exprimer les choses plus simplement, j'ai dû faire avec, m'en accommoder, tout en sachant parfaitement qu'il s'agissait d'une voie réprouvée par la société.


Ne vous êtes-vous jamais intéressé à des femmes ? Si. Quatre femmes ont suscité mon intérêt : la Sainte Vierge, Jeanne d'Arc, Marie-Antoinette et madame Curie. Je veux dire sur le plan sexuel. Non, jamais.


Est-ce un sujet que vous préférez éviter ? Absolument pas. Au contraire. Je suis conscient de l’accueil favorable que suscite actuellement l'homosexualité dans le monde pseudo-artistique. Mais la réprobation existe toujours au niveau de la bourgeoisie. Personnellement, je dois beaucoup à l'homosexualité. S'il vous plaît d'y voir une malédiction, libre à vous. Pour ma part, ce fut et c'est toujours une bénédiction. En quel sens ? C'est ce qui a fait de moi un écrivain et m'a permis de comprendre les humains. Sans prétendre que ce fut le seul élément dans mon engagement, je n'aurais peut-être pas soutenu la cause du F.L.N. si je n'avais pas couché avec des Algériens. Enfin, ce n'est pas tout à fait exact, j'aurais probablement pris leur parti de toute façon. Mais peut-être est-ce l'homosexualité qui m'a fait percevoir que les Algériens n'étaient pas différents des autres hommes.

Quel rôle l'homosexualité joue-t-elle dans votre vie aujourd'hui? J'aimerais dire deux mots de son aspect pédagogique. Inutile de préciser que j'ai couché avec tous les garçons dont je me suis occupé de près ou de loin. Néanmoins, mes motivations n'étaient pas seulement sexuelles. J'ai tenté de revivre avec eux l'aventure que j'avais vécue seul et dont les symboles sont la bâtardise, la trahison, le rejet de la société et, pour finir, l'écriture. C'est-à-dire le retour à la société, mais par d'autres voies. L'homosexualité place l'homosexuel au ban de la société et, pour cette raison, l'oblige à défier les valeurs sociales. S'il décide de s'occuper d'un jeune garçon, il ne le fera pas sur le mode trivial. Il va lui faire prendre conscience de la double incohérence de la raison et de l'émotion inhérente à toute société normale. La part de féminité contenue dans l'homosexualité enveloppe le jeune homme et crée peut-être un surcroît de tendresse. Pendant la réunion du Concile œcuménique à Rome, j'ai eu l'occasion de regarder une émission télévisée transmise depuis le Vatican. Quelques cardinaux y furent présentés. Deux ou trois d'entre eux étaient manifestement asexués et insignifiants. Ceux qui aimaient les femmes étaient ennuyeux et avides de pouvoir. Un seul, qui ressemblait à un homosexuel, semblait bon et intelligent.


Vous semble-t-il que l'homosexualité contribue à l’évolution soigneusement orchestrée vers une société asexuée ? Quand bien même la virilité serait en état de crise, cela ne me gênerait pas outre mesure. Le culte de la virilité est toujours un jeu. Les acteurs américains jouent à se donner des allures viriles. Je songe également à Camus qui posa volontiers en mâle. Pour ce que j'en vois, la virilité est une qualité tant qu'il s'agit de se faire le protecteur de la gent féminine mais point lorsqu'il est question de déflorer ladite gent. Cela dit, je suis manifestement mal placé pour en juger. En refusant de se conformer à l'image traditionnelle du mâle, l'homme brise sa coquille et peut révéler une sensibilité qui serait autrement restée cachée. Il est possible que l'émancipation de la femme moderne contraigne l'homme à renoncer aux vieux schémas pour s'adapter à une femme moins soumise que jadis.



Cette longue interview nous permet de voir que même si l’homosexualité est toujours un peu réprimée mais l’acceptation commence à se faire, petit à petit. En effet, Jean Genet parle librement et sans crainte de ses expériences passées. Il répond même par la négative lorsque le journaliste lui demande si l’homosexualité est un sujet qu’il préfère éviter. Il ne fait donc aucun doute que l’homosexualité, qui était jusqu’alors considérée comme une forme de maladie, commence à se faire accepter par la population. Le train de l’acceptation est donc lancé !

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